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Résumé :
Claire Médard
Frontières internes, transgression et légitimation : un exemple situé à Kyangwali, Ouganda.
La tension entre assignation territoriale et évitement se retrouve précisément dans l’articulation entre frontière interne et front de peuplement en Afrique de l’Est. Il suffit de mentionner les frontières des réserves naturelles et forestières et leur franchissement, les quartiers populaires construits sans tenir compte de la planification, dans une dynamique de privatisation temporaire ou durable d’un domaine public. Ces empiètements créent des espaces interstitiels qui sont centraux dans des enjeux de pouvoir et de société. Les frontières ethno-nationales constituent un autre exemple de frontière interne. Longtemps considérées comme vouées à disparaître dans le cadre d’un Etat-nation, elles sont réinventées dans un cadre administratif (royaumes, districts ethniques), plus ou moins formalisées au cours du temps et faisant l’objet de mobilisations identitaires violentes, dans une logique d’assignation à la fois territoriale et identitaire. Toutes ces frontières internes sont au centre de tractations à n’en plus finir. Elles sont révélatrices de rapports de pouvoir variables et inégaux entre autorités centrales et locales. Si elles sont en grande partie héritées de frontières coloniales, les renégociations et les réappropriations actuelles de ces frontières soulignent la centralité des pratiques de contrôle territorial dans la construction d’un Etat.
La capacité des sociétés africaines à s’en sortir par la fuite, conçue comme une forme de régulation traditionnelle (Kopytoff, Herbst), est mise à mal dans le contexte d’un Etat centralisé. L’Exit option se conçoit, durant la période antérieure à la généralisation du fait étatique, dans un registre de pouvoir personnel et de loyauté et dans un contexte où il n’y a de richesses que d’hommes. Aujourd’hui, au-delà d’un ancrage territorial, ces termes continuent à être employés au plan spirituel (millénarisme) ou économique (paysannerie non captive, informel) (Lemarchand). Herbst insiste sur l’importance du contrôle territorial dans le façonnement de l’Etat, mais il l’évoque de manière surplombante sans penser par exemple l’articulation entre pouvoirs régionaux et centraux et le bénéfice en termes d’allégeance que le centre peut tirer en laissant une marge de manœuvre à des leaders locaux (Rothchild). Nous choisissons d’examiner dans ce papier la question du contrôle et de l’assignation territoriale en nous interrogeant sur des pratiques de pouvoir et la renégociation de la frontière Etat/société. La question n’est pas tant aujourd’hui de savoir s’il existe-t-il un moyen d’échapper au pouvoir central que de saisir dans quelle mesure la transgression peut être organisée avec la complicité de l’appareil d’Etat, par exemple, dans des marges, des marges néanmoins centrales pour l’assise du pouvoir. Nous allons partir d’une étude de cas dans l’ouest de l’Ouganda pour étudier des frontières internes et la manière dont le pouvoir peut se légitimer aussi bien dans la transgression de celles-ci par l’organisation de migrations et de redistributions de terres que dans l’usage de la force pour les faire respecter.
Herbst Jeffrey, 1990, Migration, the Politics of Protest, and State Consolidation in Africa African Affairs, Vol. 89, No. 355 (Apr.), pp. 183-203.
Kopytoff Igor, ed. The African Frontier. The Reproduction of Traditional African Societies. Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press, 1987.
Lemarchand René, 1992, Uncivil States and Civil Societies : How Illusion Became Reality The Journal of Modern African Studies, 30, 2, pp. 177-I9I.
Médard Claire, Golaz Valérie, 2013, Creating dependency : land and gift-giving practices in Uganda, Journal of Eastern African Studies. http://dx.doi.org/10.1080/17531055.2013.811027.
Donald Rothchild, 2001 “Review of States and Power in Africa : Comparative Lessons in Authority and Control. By Jeffrey Herbst. Princeton, NJ : Princeton University Press, 2000.” The American Political Science Review, Vol. 95, No. 1, pp. 237-238
Mots clés : assignation assignation territoriale et strategies d’evitement evitement ouganda strategie territoire